Publications
Rédigé par Nadège Mevel | Publié le 14/03/2019
Entretien avec RODA Architectes autour de l'îlot CJ4 Cambridge de la ZAC presqu'île de Grenoble
Dans le sillage du synchrotron européen, à la confluence de l'Isère et du Drac, la ZAC Presqu'Île de Grenoble prend vie progressivement, depuis le premier chantier démarré en 2010. L'éco-cité de 265 hectares accueillera à terme moult équipements, programmes tertiaires et quelque 2 500 logements dont les 38 livrés par Jean-Paul Roda. Flottant au-dessus d'un massif socle en béton de trois niveaux, le volume de sept étages joue de pleins et de vides, d'épaisseur et de finesse, enveloppé d'un mur manteau bois aux nus variés et vibrants.
Entretien avec Jean-Paul Roda
Architecte gérant de Roda Architectes
Que représente le choix du bois pour vous ?
C'est un choix naturel, lié à la culture de l'agence très orientée sur l'emploi de matériaux biosourcés ou d'éco-matériaux, comme la pierre massive. Ce choix relève de l'évidence, comme un acte responsable né du bon sens, mais ce n'est pas un acte militant. Et ce n'est jamais le bois à « tout prix », car il ne peut pas répondre à toutes les problématiques géographiques, climatiques ou programmatiques. Mais c'est un choix qui impose d'être convainquant, car l'usage du bois en façade rencontre beaucoup de réticences de la part de la plupart des maîtres d'ouvrage, de plus en plus nombreux à le refuser de manière catégorique en vêture extérieure, surtout en milieu urbain, le grisonnement naturel du matériau étant souvent considéré comme une dégradation inacceptable. Revêtir de bois les façades demande des dispositions techniques précises pour éviter le grisonnement prématuré et différencié, et les coulures noirâtres. Sur ce projet, la vêture bois a plus de deux ans d'exposition et sa teinte a très peu évolué, grâce au choix d'une pose verticale sans aspérité qui ne retient pas l'eau et d'une exposition uniforme de chaque façade au soleil.
La standardisation industrielle n'est-elle pas un risque pour l'âme de ce matériau naturel ?
Il n'y a pas de norme dimensionnelle dans la fabrication d'un mur bois, si ce n'est le respect du gabarit routier qui autorise des murs de 11 à 12 mètres de long et d'une hauteur d'étage. Les seuls standards sont les sections des montants proposées par les scieries et à partir desquelles le fabricant répond à la demande. C'est en quelque sorte un cousu-main standard ! Le recours systématique à des machines numériques sophistiquées n'entraîne aucune standardisation dimensionnelle du mur dans sa globalité. Au contraire, le charpentier part des côtes du plan pour fabriquer ses ouvrages à la demande, sans générer de surcoûts de fabrication liés à des variations dimensionnelles d'un panneau à l'autre. La répétitivité du mur ne dégage pas une économie d'échelle. La faculté à réaliser des assemblages complexes tout bois avec une grande précision a fait disparaître une grande partie des coûts liés aux connections métalliques.
Qu'est-ce qui guide votre choix entre ces différents modes constructifs ?
Le choix répond à des données d'ordre programmatique, comme la volonté de rendre flexible l'espace disponible. Le choix d'un système poteau-poutre est dans ce cas plus pertinent pour libérer l'espace de tout porteur. Le choix de l'ossature répond à une logique économique forte car la cloison bois est porteuse. Le panneau massif présente l'intérêt de rester apparent face intérieure sans ajout de revêtement. Avec le bois, on répond aux différents enjeux que nous nous fixons : modularité, économie, expression du matériau, choix d'architecture. La combinaison de deux systèmes constructifs est parfois plus pertinente qu'un seul système. La construction d'immeubles de grande hauteur en bois qui se développe en France rend plus radical le choix du système constructif orienté majoritairement vers le panneau de type CLT aussi épais qu'un mur béton. L'inconvénient est la surconsommation de bois et la nécessité d'isoler principalement par l'extérieur.
Concernant ce projet, à quelle phase et pourquoi avoir opté pour un système de murs à ossature bois ?
Le cahier des charges environnemental de la ZAC préconisait l'emploi minimum de 50 décimètres cubes de bois par mètre carré habitable. Cet objectif était atteignable grâce à la technique du mur manteau bois - qui permet de bien répartir notre isolant thermique - et à l'emploi maximum du bois en second œuvre. Il est aussi plus facile de réaliser des porte-à-faux sans remettre en cause la performance thermique. Notre choix a également été guidé par un traitement différencié du socle et du volume supérieur qui nous a naturellement conduit vers le bois pour la vêture de nos façades.
Pourquoi la structure primaire dalle-refend est en béton ?
C'est essentiellement une question d'économie : techniquement, plusieurs immeubles de moyenne et grande hauteur sont réalisés à presque 100 % en bois avec une technicité maîtrisée. L'écart de prix entre un plancher bois et un plancher béton reste très important, le bois nécessitant d'empiler plusieurs couches pour répondre à la performance acoustique règlementaire. La vulgarisation des techniques et la compétitivité des entreprises du bois permettront sans aucun doute de réduire l'écart dans peu de temps.
Comment avez-vous concilié composition de façade, performance thermique et fonctions lors de la conception de ce mur manteau ?
Le mur manteau est constitué de montants verticaux espacés et de lisses horizontales hautes et basses. C'est donc le mur qui s'adapte à la dimension du bâtiment et non l'inverse. Nous mettons ensuite en œuvre une isolation dite « répartie » : dans l'épaisseur, à l'extérieur et à l'intérieur du mur. Ce principe supprime sans difficulté les ponts thermiques. Nos balcons sont en poutres et plancher bois agrafés. Notre objectif consistait aussi à réaliser le plus d'opérations en atelier. Ici, le mur ossature bois a été préfabriqué avec son isolant thermique principal, son contreventement, ses menuiseries de dimensions classiques et sa vêture, les grandes baies des séjours étant posées sur site. La peau intérieure en plaques de plâtre est réalisée sur site pour une parfaite étanchéité à l'air. Et dans plusieurs décennies, nous pourrons déposer notre mur manteau pour agrafer un nouveau mur, sans avoir à déconstruire entièrement l'immeuble.
Source : exemagazine.fr